Auteur/autrice : Raffael

Sia Liebermann : C’est quoi, la dance Fusion ?

Lors du Vertanzt 2025, outre le balfolk et diverses autres danses, il y aura à nouveau un thème : la fusion. Ce terme a de nombreuses significations différentes. C’est pourquoi nous avons parlé avec Sia Liebermann, instructrice de danse, professeur de danse, et lui avons demandé ce qu’il en était dans le domaine de la danse.

 

L’essentiel en bref :

  • Dans la danse fusion, tu prends ce que tu sais déjà faire et tu y ajoutes des nouveautés
  • Tu entretiens ainsi le lien avec ton partenaire et tu t’adaptes à la musique
  • Ce n’est pas un style particulier avec des pas prédéfinis, mais une improvisation commune
  • Tu n’as pas besoin de connaissances préalables. Les débutants et les danseurs expérimentés y trouveront leur place
  • Toutes les personnes sont les bienvenues, telles qu’elles sont, avec leurs propres préférences.

 

L’entretien à écouter (en suisse-allemand)

 

Merci beaucoup, Sia, de nous permettre de te poser quelques questions.

Avec plaisir !

 

Qu’est-ce que la danse fusion ? 

La fusion est une forme de danse en couple, une danse sociale mettant l’accent sur l’improvisation. Deux (ou plusieurs) personnes dansant ensemble, créent un partenariat de danse inspiré à la fois par ce lien entre les personnes et par la musique jouée. Il peut s’agir de n’importe quelle musique. En fait, la fusion est une approche de la danse sociale, ou les pas, les rôles ou la musique ne sont pas fixes.

Cela crée une atmosphère dans laquelle presque tout est possible, car il n’y a rien de concret à attendre, si ce n’est de prendre soin les uns des autres. Cela suppose une bonne écoute, la capacité à percevoir le moment présent et à se mettre en mouvement ensemble.

 

Portrait de Sia

« Ce qui m’inspire particulièrement dans la fusion dance, c’est la liberté d’expression. Les normes sont brisées.
Et grâce à la volonté d’improviser ensemble le moment présent, nous pouvons tout à coup être, bouger et rencontrer par la danse ce que nous sommes ici et maintenant. »

Sia Liebermann

 

Qu’est-ce qui rend la danse fusion unique ? 

La fusion ne fait pas référence à une tradition ou à un style musical particulier. Selon moi, il ne s’agit pas d’un style de danse à proprement parler, mais plutôt d’une pratique qui donne naissance à différents styles.

Imaginez deux personnes qui se rencontrent un jour et qui bougent d’une certaine manière, peut-être en présence d’une autre personne produisant des sons. Chaque être humain dispose d’un vaste répertoire de mouvements, les adultes comme les enfants en bas âge. Chacun peut ainsi mêler ses mouvements à ceux des autres individus, créant une fusion de différentes musicalités dans son propre corps. Et si encore d’autres personnes voient cela, l’apprécient, s’en inspirent et continuent à l’entretenir, un style peut naître de cette fusion.

C’est ce moment de naissance de nouveaux mouvements que nous cultivons de manière ciblée dans la danse fusion.

 

Tu cultives toi-même la danse fusion et tu l’enseignes aussi.
Personnellement, qu’est-ce qui te plaît et te motives dans cette manière de danser ? 

Ce qui m’inspire particulièrement, c’est la liberté d’être soi-même. Je peux me joindre à la danse, quelle que soit ma personnalité. Je n’ai pas besoin d’être ou d’apporter quelque chose de spécifique pour pouvoir m’expérimenter en tant que danseur·euse dans un partenariat de danse. Les normes sociales sont souvent non inclusives. De telles normes sont abolies lors de la danse fusion. Nous recherchons la rencontre entre les êtres, et cela est rendu possible par la volonté d’improviser ensemble. En ce sens, la fusion est un vaste champ d’apprentissage qui permet d’explorer de manière ludique et musicale notre capacité à entrer en relation avec d’autres personnes.

En même temps, la fusion est un espace qui nous permet de mettre à profit toutes nos expériences musicales et de danse, et de développer nos compétences. Elle invite à mêler les différentes couleurs et natures que nous portons en nous. Nous les avons peut-être apprises dans des cours de danse de différentes traditions, nous y sommes familiarisés et nous y avons pris beaucoup de plaisir. J’aime beaucoup danser dans un style concret. Et dans la fusion, je trouve un espace où je peux exprimer cela, aussi bien dans mon corps que dans la danse avec une autre personne, sans qu’il y ait du juste ou du faux.

 

Quel niveau de danse est requis pour apprécier la fusion ?

J’observe que les personnes attirées par la fusion viennent d’horizons différents. Les uns sont des danseurs·euses en couple avancés, ayant déjà appris différents styles de danse et disposant d’un vaste répertoire de mouvements. Ces personnes ressentent le désir de combiner de manière nouvelle ce qu’elles ont appris, ou de l’appliquer en étant moins liés à un style fixe ou à une norme musicale. La fusion leur permet de s’évader. Elles y trouvent un espace de liberté, de créativité et d’improvisation, ainsi qu’un moyen d’approfondir leurs compétences.

Les autres ont certes envie de danser en couple, mais les pas prédéfinis et les enchaînements précis leur en ont rendu l’accès difficile. Cela les empêche donc également d’accéder à la danse sociale dans le sens originel du terme. Peut-être n’aiment-ils pas non plus danser sur une musique spécifique. Ils ressentent un fort désir d’être libres, ce qui s’accompagne souvent d’une grande capacité d’improvisation. Dans la fusion, ils peuvent s’épanouir. En explorant et en jouant avec d’autres, ils trouvent des pas, un répertoire et une technique. 

Les deux extrêmes peuvent trouver leur place dans la fusion.

Pour danser la fusion, aucun bagage spécifique ni connaissance préalable n’est nécessaire. Nous nous rencontrons dans un partenariat dansant et voyons ce qui se passe. Cela peut être aussi simple qu’une mère qui bouge un peu en rythme avec son enfant dans les bras. C’est cette authenticité et cette qualité de lien que nous recherchons dans la fusion.

 

Qu’est-ce que je ne trouve pas dans la danse Fusion ? 

Si on attend des indications claires sur ce qui doit être fait, cela peut être difficile. Dans la danse fusion, personne ne te dit comment te déplacer. Cette liberté est également un défi et il faut parfois un peu de temps pour s’y habituer. Par exemple, il n’y a pas de norme concernant la durée de la danse. Dans certains styles, il existe une tradition et des directives claires à ce sujet. Dans le tango, il s’agit typiquement de trois à cinq chansons, alors que dans la salsa, c’est plutôt une seule.

De plus, il n’y a pas de normes de genre dans cette danse. Nous encourageons les danseurs à surmonter les apparences afin de profiter pleinement de l’expérience. Nous communiquons verbalement ou non verbalement, afin de définir si une personne veut mener ou suivre. 

Pendant la danse, il s’agit de rester vigilant·e et attentif·ve à la manière dont le ou la partenaire réagit et à son état d’esprit et d’aiguiser en permanence cette écoute. En parallèle, je peux apprendre à percevoir comment je me sens danser, ce qui me convient ou non, et comment l’exprimer.

Pour que cette liberté dans la danse puisse s’épanouir chez tous, il est nécessaire de mettre en place des garde-fous. Nous les indiquons dans un code de conduite définissant le comportement adéquat : se traiter avec respect, prendre soin les uns des autres, garantir la sécurité de tous dans la salle.

 

Tu animeras également des ateliers au festival Vertanzt. Comment la fusion s’intègre-t-elle dans Vertanzt ? 

La fusion permet d’enrichir chaque style en exploitant les compétences de base de la danse.

Récemment, j’ai dansé le West Coast Swing et j’ai rencontré un excellent danseur également enseignant. Pendant que nous dansions, il a intégré des éléments étrangers au West Coast Swing. Peu de temps après, il a suivi un atelier de fusion avec moi. Il m’a dit que la fusion était enrichissante pour toute danse de couple. Non pas pour abandonner son style ou sa culture, mais plutôt pour approfondir sa pratique en s’appuyant sur les trois aspects de la fusion : la musicalité, la connexion et l’improvisation.

 

Sia Liebermann est une artiste de la voix et du mouvement qui a suivi une formation thérapeutique et artistique internationale.
Chanteuse, danseuse, musicienne et compositrice, elle a une grande passion pour l’improvisation et la composition instantanée.
Elle enseigne actuellement la Fusion Dance en Suisse, tant au niveau local qu’international.

 

Est-ce que c’est aussi de la fusion si je ne fais que mélanger deux styles ? Dans ce cas, ce n’est pas complètement libre.

Oui, totalement, le mélange conscient de deux ou plusieurs styles est aussi une forme de fusion. Dans fusion complètement libre, ce sont les deux danseurs qui fusionnent dans la danse. Ils puisent dans leur répertoire, dans leur langage corporel, dans les styles de danse appris. S’ils perçoivent que l’autre suit bien un mouvement, ils utilisent peut-être davantage ce répertoire commun. Il peut s’agir d’un style de danse appris, mais pas nécessairement.

C’est comparable à une conversation. Je peux utiliser tout le vocabulaire que mon interlocuteur comprend. Je pourrais mélanger allègrement des mots des langues que je connais. Et ça peut être très drôle ! [Sia parle diverses langues en les mélangeant.] Ou bien, je peux parler en allemand, puis en anglais. C’est moins libre, mais permet une conversation efficace.

Si je maîtrise les deux langues, il m’est plus facile de les mélanger activement. Je peux alors bien parler, respectivement bien guider et/ou créer dans la danse. Dans le rôle du ou de la « follower », je dois surtout bien écouter, reconnaître et transposer physiquement ce que j’ai compris.

La danse fusion, permet d’utiliser le répertoire connu en y insufflant du sens, en se faisant du bien, en éveillant la curiosité et en s’immergeant dans de nouvelles expériences.

 

D’où vient la fusion ? J’ai entendu dire qu’elle venait du blues.

Le terme « Fusion » est sujet à interprétations. A mon sens, elles sont toutes légitimes.

Le mouvement social de danse de couple, baptisé « Fusion Dance », est né aux États-Unis parmi les danseurs de blues et a été fortement influencé par la communauté queer. Flouer Evelyne, Mark Carpenter ou Justin Riley sont des danseurs de fusion (et de blues) de renommée internationale, à l’avant-garde de ce mouvement. Contrairement à moi, ce sont des experts capables de répondre à la question de l’origine exacte de la danse blues et de la relation entre celle-ci et la danse fusion.

En ce qui concerne la pratique de la fusion, je pense que chaque style et culture de danse intègre des mouvements encourageant les qualités de la fusion, même s’ils ne portent pas ce nom. Chaque style de danse est né un jour et continue d’évoluer et pour cela, la connexion, l’improvisation et l’incarnation de la musique sont nécessaires. La fusion est le dénominateur commun à tous ces mouvements et inclut en même temps toutes les variations.

Pour moi, le terme « fusion » n’appartient à personne en particulier, et donc à tout le monde. C’est précisément ce qui me passionne dans la fusion. Personne ne peut te dire comment tu dois être, danser ou ne pas danser. Tant que tu respectes tes partenaires de danse. Si nous tentions d’établir des normes universelles, je pense que l’essence même de la fusion s’en trouverait compromise. Dans chaque partenariat, les danseurs·euses doivent pouvoir décider de la forme de leur danse, avec le consentement mutuel. Pour cela, un cadre établit peut donner une orientation bénéfique et plus concrète à sa propre liberté. C’est ainsi que naissent différents espaces de culture de la danse fusion.

 

Aurais-tu une recommandation de musique pour les danseurs de fusion ?

En tant que musicienne, je trouve l’expérimentation extrêmement intéressante : danser sur des sonorités qui a prime abord paraissent difficilement dansable. Parfois même, sur un simple bruit de fond. J’utilise quelquefois des morceaux classiques comme une étude de Chopin, un morceau afrobeat ou une chanson de Radiohead comme Karma Police. Un mélange de genres. Ce faisant, nous pouvons nous mettre en mouvement, inspirés par les couleurs, les qualités et les textures de notre propre musicalité et de la musique qui nous entoure.

 

Merci beaucoup et à bientôt pour Vertanzt !

Les questions ont été posées et l’entretien enregistré par Raffael Krebs le 26 mars 2025.